La Wallonie, malgré son industrialisation, a toujours eu une vie rurale intense. C'est un point de vue qu'il ne faut pas oublier quand on étudie les chansons populaires dont les thèmes se sont fixés, pour leurs grandes caractéristiques, dès les périodes les plus anciennes, voire, pour quelques-uns, dès la période celtique. Pour ces deux raisons, on peut comprendre que, jusqu'au 19me siècle, la vie à la campagne a marqué profondément les chansons de nos contrées. Jacques Dubuisson (*) signale qu'à l'époque de Louis XV (XVIIIme siècle), 75% de la population française faisait toujours partie de la paysannerie.
Une des plus intéressantes sources de notre répertoire est certainement le milieu des bergers. Les chants de pâtres sont relativement bien représentés dans notre corpus de chansons ; à qui pourrait s'en étonner, il faut rappeler qu'il s'agit souvent de chants de pâtres utilisés par ceux qui menaient paître le petit bétail des habitants du village, notamment sur les terrains communaux.
Ces chants ont les caractéristiques des chants de bergers des régions montagneuses : sons o, i, a, r, l. Tiololo, tiolo, tiololo, dit un chant de rappel. Warlau, warlau, dit un autre. On voit qu'il s'agit de sonorités émises bouche ouverte, ce qui permet à la voix de porter sur de longues distances. Ces exemples peuvent être rapprochés des sonorités (sifflements, etc.) permettant aux montagnards de communiquer d'un versant à l'autre d'une vallée, ou du yoddle, mais aussi des chants de briolage bien connus en Europe occidentale.
On trouvera dans Le pâtre communal en Wallonie » [Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne, t. III, n° 34-36, Liège, 1935. Lien ci-contre Le pâtre commun.] de passionnantes descriptions de cette vie des bergers de chez nous, réalité très oubliée, très différente par beaucoup d'aspects de celle vécue avec les grands troupeaux alpestres mais qui n'en présente pas moins de nombreux points de concordance ou de comparaison avec elle —cf. les sonorités citées— sur lesquels il nous faudra revenir. Ce numéro des enquêtes du grand musée wallon est un dossier d'une trentaine de pages d'un grand intérêt vu la rareté de ce genre de documents : témoignages, illustrations, glossaire, cinq exemples musicaux. Nous n'en donnons que quelques extraits significatifs.
Dans ce milieu de la paysannerie, il faudra revenir aussi sur les veillées qui ont joué un rôle de premier plan pour la transmission du répertoire traditionnel, en ce compris le corpus des contes traditionnels. Et, s'il a existé une catégorie de transmetteurs privilégiés en la personne des colporteurs, cela ne doit pas faire oublier le rôle de premier plan de la transmission de mère à enfants, probablement la principale au long des siècles, sans qui ce répertoire ne nous serait pas parvenu car, en effet, les colporteurs faisaient circuler des chansons qu'ils trouvaient dans la tradition, diffusaient un répertoire constitué par ailleurs, pour l'essentiel. Ceux-ci transmettaient d'ailleurs avant tout un répertoire d'une certaine tenue littéraire, à savoir le répertoire des complaintes, le plus spectaculaire, le plus propre à marquer les imaginations de ceux susceptibles de le leur acheter et qui supposaient que l'on sache lire. Tout autre est le répertoire des enfantines, des berceuses, des danses, … voire des chansons d'amour qui se trouvent à l'intersection de ces deux publics. Il faudrait bien entendu développer ce point de vue à partir de cas concrets comme l'a abondamment fait Patrice Coirault dans sa Formation de nos chansons folkloriques (Éditions du Scarabée, 4 vol.) et dans ses mémoires de Recherches.
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(*) Scénariste du docu-fiction très documenté Louis XV à Versailles (France 2, 25/12/09)