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Les danses, en milieu ancien traditionnel, ont toujours occupé un rôle de premier plan. Cela peut être montré de manière certaine par un exemple très curieux et remarquable. Armand Machabey (1886-1966), musicologue passionnant et perspicace dans le choix de ses sujets d'étude et dans les développements qu'il leur donne, a soutenu en 1928 une thèse de doctorat [Essai sur l']histoire et l'évolution des formes musicales au Moyen Âge (Payot, Paris), remaniée en 1955 en Genèse de la tonalité musicale classique (Richard-Masse, Paris). On semble loin de notre sujet. Pourtant, cette étude de la genèse progressive au Moyen Âge et à la Renaissance des principes qui seront définis tardivement par les termes « tonalité classique » relate (p. 24-25 principalement) comment du Vème au IXème siècle le chant est une des préoccupations importantes des responsables de la liturgie chrétienne [« On voit accéder au siège apostolique des ecclésiastiques réputés pour leur habileté dans le chant et leurs connaissances musicales. »] Derrière ces pages se manifeste un conflit latent et des choix différents entre les ecclésiastiques de Gaule et ceux de Rome. On chante beaucoup plus en Gaule [« Le fidèle romain ne chantait pas. »], comme aussi en Espagne (rite mozarabe), en Bretagne, en Irlande et à Milan (rite ambrosien). Pour faire bref (voir le § suivant), disons que les ecclésiastiques les plus avisés se sont rendus compte qu'il était plus intelligent de placer des textes chrétiens sur des chants gaulois populaires parce que les fidèles tenaient trop à ces chants et n'avaient aucune envie de les abandonner au profit d'autres entièrement nouveaux. C'est spécialement le cas des hymnes, la forme la plus proche des chants gaulois populaires de par la rythmique (longues et brèves, chant syllabique), la carrure (octosyllabes) et les rimes. On constate donc que, parmi les pièces les plus pratiquées du futur répertoire grégorien, un grand nombre doivent être d'origine populaire ou d'un style qui s'en veut proche. Il est piquant aussi de constater que l'histoire musicale est un éternel recommencement et que ce chant syllabique, cette carrure et ces allitérations sont ce que nous avons repris à la rythmique enfantine de Constantin Brăiloiu. Voyez l'article Et Beethoven ? où l'on constate le phénomène inverse —parti du grégorien, le compositeur en arrive à la carrure des enfantines— ou celui sur La pédagogie musicale pour les 5 à 8 ans (p. 9-10) où Paul Fraisse montre que les grands compositeurs suivent un schéma comparable à travers des oeuvres très diverses.
Parallèlement à cet aspect chant, Machabey relate les très nombreux conciles qui, pendant des siècles, vont chercher, en vain dirons-nous, à extirper les coutumes celtiques profondément vivaces. Ce qui devait être une parenthèse permettant à Machabey d'utiliser des éléments pour son histoire de constitution du langage tonal va le déborder : « Bien que nous ayons dépassé de beaucoup la limite de ce chapitre [IIème au VIIIème siècle] —d'ailleurs sans avoir épuisé le sujet— et atteint celle même de notre étude … » Tout le chapitre est donc à lire tant les citations sont nombreuses, explicites et croustillantes. La plupart des conciles qui s'échelonnent du Vème siècle (concile de Vannes, 465) au XVème siècle (concile de Sens, 1485), càd pendant 1000 ans, lancent des interdits contre les danses autour et dans les lieux saints. N'oublions pas que la christianisation forcée avait commencé par le choix des lieux. Beaucoup de lieux de culte chrétiens avaient récupéré des lieux saints celtes (anciennes sources sacrées, monolithes, grottes, lieux dédiés à des divinités, etc) : Chartres et Vézelay, pour n'en citer que deux parmi les très connus. Par exemple, … le concile de Bayeux (1300) interdit [aux ecclésiastiques subalternes —il y avait un bas-clergé probablement d'origine sociale plus modeste et de moindre formation intellectuelle—] « sous peine d'excommunication de conduire des danses dans l'église ou le cimetière. » En fait, ces gens continuaient des cultes anciens qu'ils pratiquaient à ces endroits avant l'érection des églises.
Qu'on me laisse tirer de cette relation historique une conclusion dans une formulation toute personnelle : les traditions populaires semblent si vivaces —au sens où on emploie ce mot pour les plantes— qu'elles semblent aussi tenaces que du chiendent. Qu'on les fasse sortir par la porte, elles rentrent par la fenêtre. C'est du moins une source de consolation. Car il faut bien reconnaître qu'au sortir du XXème siècle, les chants et danses populaires ont disparu de nos sociétés occidentales sous leur forme traditionnelle. Mais peut-être se régénèreront-elles sous d'autres formes ? Par exemple, aujourd'hui les groupes bien improprement dits « celtiques » [groupes irlandais ou bretons conviendraient mieux car, malgré ce qui est dit ci-dessus, que connaissons-nous de la musique des celtes ?] ou la « world music » ?
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Après ce long intermède historique dont, j'espère, chacun peut apprécier l'intérêt, revenons à la place des danses dans nos sociétés au cours des derniers siècles. Il me semble qu'il faut insister sur le rôle principal qu'occupait la danse aux chansons » càd avec un texte chanté, souvent en alternance entre un soliste et le groupe des danseurs.
Comme je le développe par ailleurs (Les grandes traditions oralo-gestuelles), la tradition a toujours lié de près sons et gestes. Dans ce sens élargi, il me semble qu'il est toujours intéressant de rapprocher les danses d'autres formes de traditions gestuelles comme les berceuses, amusettes et autres sauteuses, les rondes enfantines, voire les chants de métiers. D'où les pages voisines accessibles par les menus ci-contre.
La Wallonie a malheureusement perdu assez tôt la pratique régulière de ses danses. Dès lors, en dehors des rondes enfantines, il subsiste peu de danses chantées si ce n'est sous la forme du cramignon (farandole).
À côté des danses chantées, la forme instrumentale la plus commune devait être le bal animé par un ménétrier, violoniste aux époques les plus récentes (en particulier au 19ème siècle), plus souvent cornemuseux ou vielleux aux siècles précédents. Si les groupes de musiciens ne sont pas à exclure, ils devaient être rares et de peu d'instrumentistes, deux ou trois sans doute. Ce(s) musicien(s) pouvai(en)t éventuellement doubler le chant et, à ce moment, leur répertoire se confond avec les chants dansés. D'un répertoire instrumental ancien, nous n'avons guère de traces. Pour le répertoire instrumental récent, il est essentiellement constitué de danses remontant rarement au 18ème siècle mais la plupart étant du 19ème.