Il y aurait beaucoup à dire sur les chants de métiers : le rythme du travail pousse à le scander en musique, le chant donne du courage à la tâche, le temps qu'on y passe paraît moins long. Parfois aussi, il stimule les animaux (voir les briolées repérées par Georges Sand qui stimulaient les boeufs dans leur ardeur à tirer la charrue).
Je voudrais ici relever un documentaire de la chaîne ARTE fort exceptionnel dans sa relation de l'analyse, effectuée par le musée qui lui est consacré, sur le renflouage du galion Vasa. Ce voilier du début du XVIIme siècle, mis à l'eau en 1628, n'a jamais franchi que quelques centaines de mètres dans la baie de Stockholm avant de couler. Cette analyse est l'occasion de montrer les énormes progrès à l'actif de l'archéologie d'aujourd'hui.
C'est la raison de ces paragraphes sur cette page des chants de métiers. L'approche des muséographes visait à retrouver de manière fidèle jusqu'au statut social des membres de l'équipage, ici, manifestement des couches populaires de la société suédoise, en ce comprises des femmes. L'étude des voiles, retrouvées à l'intérieur de la cale, a mené un spécialiste de ce sujet à repérer leur origine à Littré (Bretagne), cet aspect amenant une démonstration intense avec son métier à tisser par un tisserand qui fabrique toujours aujourd'hui le même type de toile. Il a commenté son ardeur à manier son peigne à serrer les fils en déclarant avoir facilement des tendinites pour un métier prenant beaucoup de son temps : Et couchés tard, levés matin relève-t'il, comme le dit la chanson bretonne Les tisserands.
Les premiers métiers à avoir engendré des chants sont probablement le métier de fileuse au rouet ou à la quenouille et le métier des berger(e)s. Il n'est pas rare, dans les chants de bergers —cf. dans le lien ci-contre sur les pâtres communs— de voir associés le berger et sa "maîtresse" (= fiancée pour un wallon) filant à la quenouille en plein air. Le but est de rendre le temps moins long qu'il est comme le montre bien Pénélope dans l'attente du retour de son mari, Ulysse : pour écarter ses prétendants qui doivent attendre la fin de sa tapisserie, elle défait la nuit ce qu'elle a tissé le jour. L'existence de ces types de chants vont permettre d'y inclure toutes sortes de thèmes littéraires : les histoires d'amour, d'illustres personnages (Le roi Renaud, La belle se sied au pied de la tour, Anne de Bretagne revenant en sabots, …) Ils avaient un public pour les chanter, notamment les fileuses.
Citant ci-dessus le rythme dans les tâches coutumières, on pense à des métiers aux rythmes très répétitifs et chronophages : Piler Lann, Danses bretonnes, Canteloube. Ou aux lavandières au lavoir avec leur battoir. Les terrassiers aussi : En voilà un, le joli un, … En voilà deux, … (Franche-Comté, Canteloube, t. 3). L'abondant répertoire des marins … On trouvera un long et passionnant développement de ce sujet des chants de métiers chez Julien Tiersot, avec d'intéressantes réflexions pour l'influence sur les rythmes et les mélodies de nos chansons populaires, qui signale aussi quelques échos dans des passages de quelques opéras (Histoire de la chanson populaire en France, Chap. 6, Chants de métiers, p. 140-169).
Un certain nombre de métiers étaient destinés au traitement de récoltes : lin, chanvre, blé par exemple. Le chant Piler Lann, cité ci-dessus, était une danse énergique, à pas sautés des deux pieds sur le lin afin de l'attendrir.
Autre plante traitée avec force : le blé. Dans la plupart des régions, on trouvait des chants accompagnant la séparation des grains du blé de sa tige à grands coups de battoirs (fléaux). Voici une de ces chansons de Wihéries (Hainaut).
Il existait de cette chanson grand nombre de couplets que les batteuses en grange improvisaient sur ce timbre monotone mais de nature à encadrer leurs gestes. Nous n'avons noté que les trois [couplets] rapportés ci-avant, les seuls se rapportant au travail des batteuses. Cette chanson était destinée à entrainer « quatre batteuses ». 1l devait en exister pour trois batteuses.
« Pour la compréhension de certaines des chansons qui suivent, nous devons rappeler que naguère presque toutes les localités avaient des pacages communaux ; que beaucoup en possédaient d'intercommunaux ; ainsi les territoires actuels de Pâturages et la Bouverie constituaient, jusqu'au XVIIme siècle, les pacages intercommunaux d'Eugies, Frameries, Jemappes et Quaregnon. Et les bons bouviers communaux étaient ceux qui, les premiers, gagnaient les meilleurs pacages. Thulin et Hainin avaient un marais commun où les habitants des communes paissaient leur bétail ; l'agglomération d'Hainin en était plus proche que celle de Thulin, aussi, souvent, les vaches d'Hainin avaient-elles précédé celles de Thulin aux pâturages où elles paissaient en attendant les autres ; d'où est restée dans le langage régional l'expression : faire comme les vaches d'Hainin, c'est-à-dire commencer de manger avant que tous les convives soient à table.
Harmignies et Givry avaient des paturages communs que les vachers des deux localités se disputaient en se défiant dans la forme homérique comme le montre la chanson n° 70 [Menace, en fin de cette page !] recueillie par M. Maurice Hugé.
Partout, l'activité hennuyère était principalement agricole, et c'est ce qui explique que les chansons de bouviers, fermiers, etc. s'inscrivent plus nombreuses que d'autres, en ce chapitre.
Les chansons ou mélopées employées comme appels au loin par les gardeurs communaux de troupeaux ont dû dériver des appels de trompes faites de longues cornes d'animaux à l'origine. Souvent leur rythme ne répond plus au rythme de la musique depuis le XVIme siècle, mais se rapproche beaucoup au contraire de celui de la musique du Moyen-Âge.
M. Polain nous écrit : « Je connaissais quelques-uns de ces appels, entendus dans mon enfance en Ardenne, où ils servaient aux herdiers à s'appeler d'une montagne à l'autre souvent à plusieurs kilomètres de distance ; d'autres servaient à rappeler le bétail, à faire revenir les vaches pour la traite à certain endroit connu d'elles, à exciter les bœufs pendant le labour. Il en subsiste en France, notamment dans le Massif Central. »
Ces paragraphes sur les chants de bergers sont extraits de Albert Libiez, Chansons populaires de l'Ancien Hainaut, vol. II, p. 154, Schott Frères, Bruxelles, 1959. Cfr aussi la page sur les bergers communaux.
En complément de cette introduction aux chants de bergers communaux, je voudrais préciser quelques détails sur leurs chants. Ces chants sont avant tout destinés à communiquer entre bergers, comme il est indiqué ci-avant. Les bergers communaux s'envoyaient ainsi des informations, des défis, des renseignements sur leurs activités (retour au village, l'heure de départ, etc.), des questions. Il en allait pour eux comme pour les bergers de montagnes : mêmes sonorités à bouche ouverte o, i, a, r, l, … Ces derniers employaient aussi un langage par sifflements dont je ne connais pas la teneur mais qui portaient plus loin, par exemple du flan d'une vallée à celle d'en face : prévenir de la présence d'un loup dans les parages, d'un avalanche qui menace que sais-je … Ce n'est peut-être pas un hasard si on dit « Allo ! » pour entamer une conversation au téléphone :-)
Quelques-uns de ces chants :
Rappel du bétail : I-y-a dés leûps [chant en mode de fa].
Idem : Ohé ! Ohé ! Lés bédots.
Idem, le plus ancien collecté en Wallonie (Liège) : O dé dé ado.
Idem : La, lalala, oh !
Demande : La, lalala, Louis !
Avertissement : Ori ! Alô !
Anecdote : Riololo.
Menace :Al banière.
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