Le troupeau communal — Le pâtre commun en Wallonie

Archet
Violon

La herde et le herdier

Ceux de nos confrères qui vivent à la campagne nous rendraient service en recherchant si la distribution des anciennes fermes de leur région s'inspirait de certaines règles. Ils nous obligeraient en nous envoyant des relevés sommaires indiquant comment étaient traditionnellement disposés les bâtiments et les pièces de la ferme. Notre enquête ne vise pas uniquement la grande ferme, dont les constructions forment habituellement un quadrilatère, mais aussi la petite exploitation agricole dont les bâtiments s'alignent le plus souvent sur un rang, le long de la route ou perpendiculairement à celle-ci. Nous avons demandé dans notre premier questionnaire-recensement (…) de nous signaler les communes ayant —ou ayant eu— un « herdier », un berger ou un porcher commun. Nous nous occuperons principalement, pour l'instant, du « herdier », li hièrdî, conducteur du troupeau communal la «herde », li hiède, du francique herda, all. horde(').

(') Les mots herde et herdier appartiennent à l'ancien français. [Selon Le Grand Robert, la mention la plus ancienne du mot herde est de ± 1138. J'ajouterai que le français moderne emploie toujours horde et harde, que ces divers mots de même souche concerne un groupe d'une certaine importance, visant des personnes (troupe) aussi fréquemment que des animaux (troupeau) ; le mot anglais herd se traduit d'ailleurs par troupeau. (N. du Tr.)]

La herde comprenait tout le bétail du village, qu'un pâtre commun rassemblait le matin au son de la trompe pour le conduire paître sur les biens de la communauté. Le soir, il ramenait ses bêtes au village en s'annonçant de nouveau à l'aide de sa corne —vraie corne ou trompe en fer-blanc.

Ce type si caractéristique de la vie agricole d'autrefois est, d'après les réponses que nous avons reçues, presque complètement disparu. Si, comme nous le pensons, il existe encore quelques herdiers dans l'Ardenne namuroise ou luxembourgeoise, nous serions reconnaissants à nos correspondants de nous les signaler sans retard pour nous permettre d'aller nous documenter sur place.

Répartition géographique

Le herdier est inconnu en Hainaut, en Brabant wallon, au nord des provinces de Namur et de Liège. On le trouve dans le sud de l'arrondissement de Namur ainsi que dans les arrondissements de : Dinant (Alle, Beauraing jusqu'en 1860, Bohan jusqu'en 1914, Ciney. Houyet jusqu'en 1927, Mohiville. Oizy. Petit-Fays. Wancennes jusqu'en 1870) ; Philippeville (Couvin, Marienbourg, Mazée, Nismes, Oignies. Petigny) ; Verviers (Ardenne spadoise, Fagnes) ; Bastogne (Bastogne, Nadrin, Wardin) ; Neufchâteau (Bertrix, Herbeumont, Rochehaut, Saint-Hubert, Vivy) ; Virton (Halanzy, Musson). Passé la frontière, nous trouvons aussi le herdier dans la région de Givet, sur le plateau de Rocroi (où il s'appelle vatchî), en Lorraine, dans le Grand-Duché de Luxembourg, en Allemagne.

Là où la herde a cessé d'exister, on rencontre encore parfois l'ancien herdier, dont il serait précieux de recueillir les souvenirs. Ailleurs, on peut trouver la trace de ce vieux métier dans les archives communales, les récits des anciens, le sobriquet qui désigne encore parfois les descendants du dernier hièrdî. En certains endroits, on montre la maison de l'ancien pâtre et la voie de la herde a conservé sa dénomination d'autrefois. Il convient aussi de recueillir certaines expressions patoises ou lieux dits qui évoquent le souvenir du pâtre disparu. Ainsi, à Herbeumont-sur-Semois, un endroit du ban se dénomme encore le pragneû ; c'était là que, dans la période des fortes chaleurs, les bêtes, sorties le soir, étaient réunies pour ruminer. D'où la locution : le v'la co qui pragne = qui « flème » (A. H. Rochefort, Bruxelles). Dans l'Ardenne liégeoise, à Saint-Hubert, etc., le terme prandj'leû est très connu comme nom de lieu (J. Haust).

On a vu (t. 2. p. 204) qu'à Bra-sur-Lienne (arrondissement de Verviers) un endroit s'appelle lès sèvrâyes. Les enfants, autrefois, y attendaient le retour du troupeau communal. C'est là que se faisait le sèvrâye, c'est-à-dire la dislocation du troupeau. Les enfants reconduisaient les bêtes à leur étable. Au même endroit s'allumait le grand feu du premier dimanche de carême.

Ajout du transcripteur :
⇒  Essai de colorisation  ⇐
de la reproduction du herdier.

La herde au pays de Spa [à titre d'exemple]

Il convient de reproduire ici une page consacrée à la herde par Albin Body, en 1899. Elle pourra servir de point de départ à nos recherches.

Autrefois, il y avait un vacher unique pour tout le bourg, chargé de mener paître le bétail sur les biens de la communauté, dans les fagnes, dans les bois et les vaines pâtures.

L'article 12 de l'ordonnance de 1669 et la loi du 29 septembre 1791 imposaient l'obligation de présenter un pâtre pour être gardien du troupeau, « homme de bonne réputation et de probité connue ».

En 1816, c'était encore le sous-inspecteur de l'arrondissement qui avait dans ses attributions la nomination du gardien du troupeau des vaches de Greppe et de celui de Winamplanche, et le candidat était présenté par le maire.

La route dite de la Herde était la seule qu'il pût suivre pour se rendre aux pâtures des fagnes. Il en était de même dans beaucoup d'autres agglomérations ; ce chemin traditionnellement suivi se nommait vôye dèl hiède ou hièrdâve vôye.

Levé à l'aube, le herdier, muni de son bissac et la corne en bandoulière, tirait de celle-ci des sons d'appel, auxquels répondaient les manants en dételant leurs bêtes, qui venaient d'elles-mêmes se ranger sur la place. Il passait le jour entier aux champs. Afin d'ajouter quelques menus gains à leurs gages, certains herdiers tricotaient des bas. Le soir, le même appel de corne avertissait les propriétaires du retour de leurs bêtes.

Les vachers étaient armés du bordon a-z-onês ou a fotche, « bâton à anneaux », ou « à fourche » ; bâton au bout duquel on avait laissé une branche, dans laquelle étaient passés deux ou trois anneaux en métal ; cette branche était recroisée autour du bâton de façon que ces anneaux pussent se mouvoir et résonner l'un contre l'autre. Le vacher s'en servait en le lançant sur le bétail.

Quand on les menait dans les bois, la plupart des bêtes portaient au cou une clochette ou clabot « grelot » afin que, si l'une ou l'autre venait à s'égarer, on sût où la retrouver ; elle servait aussi à éloigner les loups, qui étaient nombreux dans nos forêts.

Le herdier avait sous ses ordres de petits gardiens pour l'aider dans sa besogne. Ils s'appelaient tircerous(2).

XVIIe-XIXe siècles, Ardenne spadoise — Albin BODY (1899)

Ajoutons à cette note que le troupeau communal était parfois confié à une femme : li hièd'rèsse.

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(2) Dans le sud de l'Ardenne, ces gamins s'appelaient scalot,  escalot. La mission qu'on leur confiait était un motif d'absence scolaire.
     — « Où est un tel ? disait le maître. — « Il est a scalot ».